Chronique #12 : Les illusions sur la communication

Plus du tiers des demandes de consultation en thérapie ont trait aux difficultés conjugales. Et la principale difficulté mentionnée par les clients (patients) concerne les problèmes de communication. Après plus de quarante ans d’exercice en thérapie conjugale, j’en viens plutôt à la conclusion que les couples n’ont aucun problème de communication. Je répète : à mon avis, les membres des couples, heureux ou malheureux, n’ont aucun problème de communication. Par contre, ils entretiennent trois illusions sur la communication.

La communication non violente (CNV)
Il existe actuellement de nombreux livres écrits autour de la CNV, technique développée par le psychologue étatsunien Marshall B. Rosenberg et popularisée dans la francophonie par Thomas d’Ansembourg. Cette approche est enseignée par de nombreux intervenants lors d’ateliers sur la communication. La CNV a été développée à partir des travaux de Rogers sur l’acceptation inconditionnelle d’autre et d’Éric Berne sur l’analyse transactionnelle et la communication dite efficace.

En soi, cette approche semble très logique :
1.    Décrire la situation en termes observables et sans jugement (O pour observation) ;
2.    Exprimer les attitudes et les sentiments suscités par cette situation (S pour sentiment) ;
3.    Clarifier le besoin (B pour besoin) ;
4.    Exprimer une demande de façon positive (D pour demande).
Comme dans l’exemple suivant : « Lorsque tu laisses tes vêtements dans le salon au lieu de les mettre dans le garde-robe (O),je suis de mauvaise humeur(S) car j’ai besoin de plus d’ordre dans les pièces que nous partageons (B). Voudrais-tu, s’il te plaît, prendre tes affaires et les ranger là où il se doit (D) ? »

La communication « Tu » tue
Pour le psychosociologue Jacques Salomé (lequel a signé la préface de mon livre Qui sont ces couples heureux ?), toute communication qui commence par « Tu » tue la communication. Ce qu’il appelle la communication « klaxon ». J’ai eu l’occasion d’en discuter avec lui afin de lui démontrer que ce n’est pas le « Tu » qui tue la communication, mais bien ce qui vient après ce fameux « Tu » : un reproche (lequel s’adresse au comportement), une critique (laquelle s’adresse à la personne) ou un compliment.

Les observations en laboratoire de l’équipe du Dr Gottman (surnommé Dr Love) ont démontré que les membres des couples heureux n’utilisaient pas les principes de la CVN et qu’ils parlaient très souvent en termes de « Tu ». Sauf que, contrairement aux membres des couples malheureux, ils font suivre ce « Tu » d’un compliment au moins cinq fois plus souvent que d’un reproche, encore moins d’une critique. On devrait donc, à mon avis, parler d’une communication positive plutôt que non violente. Tout compliment augmente le capital amoureux, tout reproche constitue un retrait de la banque d’amour.

Se pourrait-il que la communication efficace ou non-violente soit davantage un dada d’intervenants qu’une véritable stratégie gagnante ? C’est du moins l’avis du Dr Sylvie Dodin, professeur agrégée de médecine, titulaire de la chaire pour l’enseignement d’une approche intégrée en prévention à la faculté de médecine de l’Université Laval de Québec, pour qui il n’existe aucune synthèse d’études scientifiques, aucunes données probantes, pouvant conclure à l’efficacité ou à l’utilité de la CNV. Selon elle, les articles publiés sur la CNV sont une simple description de concepts et de techniques « pour résoudre des conflits ou faciliter les relations entre les personnes ». Or, les problèmes conjugaux sont pour la plupart insolubles. Essayer de résoudre des problèmes insolubles, même en utilisant les principes de la CNV, ne peut mener qu’à la confrontation ou pire, à l’affrontement. Apprenons à les gérer à défaut de pouvoir les résoudre.

Trois illusions sur la communication
Mon expertise clinique, après avoir écouté des milliers de couple en thérapie, m’amène à la conclusion que les couples malheureux n’ont aucun problème de communication. Sauf qu’ils entretiennent trois illusions concernant la communication, lesquelles provoquent les supposés problèmes de communication.

La première des illusions tient au fait que les gens pensent qu’en communiquant, ils vont nécessairement se comprendre et se mettre d’accord. Même si l’étymologie du mot communication signifie mettre en commun, j’ai l’impression que la communication est davantage synonyme de partage ou de troc que de communion ou de commune-action. Si, après nos échanges faits en toute franchise et en toute transparence, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas d’accord, nous avons un problème de consensus et non un problème de communication. L’observation des couples heureux nous démontre qu’ils se mettent d’accord pour vivre avec des désaccords lorsqu’ils n’arrivent pas à un consensus… et qu’ils évitent d’en (re)parler. Ils essaient plutôt de négocier des ententes à double gagnant (win-win) là où les membres des couples malheureux « jouent » à : « J’ai raison, tu as tort ».

La deuxième illusion concerne le contenu de la communication. Les couples malheureux parlent davantage de ce qui ne vas pas, de leurs conflits, de leurs défauts plutôt que de parler de ce qui va, de ce qu’ils aiment chez l’autre, de leurs qualités et de leurs forces. L’illusion est de croire qu’en disant à l’autre ce qui ne va pas qu’il en tiendra compte et qu’il adaptera automatiquement son comportement à l’expression du besoin (B) et de la demande (D). Or, toute critique, ou ce qui peut être perçue comme une critique, (même enveloppée de CNV) suscite la défensive et la contre-attaque plus ou moins méprisante et la dérobade de l’un ou l’autre partenaire (lire à ce sujet les quatre cavaliers de l’Apocalypse). Dire « Je me sens en colère quand tu arrives en retard et j’aimerais bien que tu arrives à l’heure les prochaines fois » reste, qu’on le veuille ou non, une critique déguisée. Les couples malheureux sont devenus experts en communication « merdique » là où les couples heureux sont experts en communication « florale ».

Le troisième problème tient à l’interprétation des mots. Un « Je t’aime » dit par un homme n’a probablement pas tout à fait la même signification que dit par une femme : l’un peut parler de désir alors que l’autre entend affection. Sans parler du ton sur lequel il est dit. Et sans oublier le langage corporel, lequel selon les psychologues constituent plus de 50 % de la communication. Dire un « Je t’aime » en pitonnant sur la télécommande n’a pas la même portée que de le dire en tenant les mains de son partenaire, en le regardant dans les yeux et sur un ton chaleureux.

En conclusion, les couples malheureux n’ont pas de problème de communication, ils ont plutôt des problèmes de consensus, de contenu et d’interprétation. Les membres des couples heureux évitent les sujets sur lesquels ils savent qu’ils ne seront jamais d’accord et négocient des ententes à double gagnant sur les conflits qu’ils savent insolubles. Ils préfèrent être heureux plutôt que de convaincre l’autre que « j’ai raison et tu as tort ». On peut continuer de s’aimer même si on est en désaccord et même si notre partenaire n’est pas parfait et que l’on a parfois de la difficulté à comprendre ce qu’il veut. Aimer réellement quelqu’un, c’est arriver à aimer ses défauts et à l’accepter tel qu’il est.

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Je vous souhaite une excellente journée et beaucoup de bonheur seul et à deux.