« Je reste sans voix à ta vue. Ma langue se brise. La fièvre me brûle. Mes yeux se brouillent. Mes oreilles bourdonnent. Je transpire, je frissonne. Je verdis, je crois mourir. Je vais jouir ! »
Ce poème de Sapho à son amante, écrit au VIIe siècle avant J. C., illustre bien l’impétuosité du mouvement passionnel. Mais ce mouvement de tout l’être vers ce qu’il désire, cette émotion violente, puissante, continue qui domine la raison peut-il s’apparenter à l’amour ? Et peut-il durer pour toujours ? Qui d’entre nous n’a jamais été amoureux et n’a pas connu l’euphorie et les tourments de la passion amoureuse ? Pourquoi et comment la présence d’un autre, d’une autre, peut-elle provoquer tant d’émois, tant d’envahissement ? Et pourquoi est-ce lui ou elle ? La Passion est-elle synonyme d’Amour ?
La passion, une véritable drogue
La passion se reconnaît lorsqu’il y a convergence de quatre éléments : 1. L’objet de votre amour assaille vos pensées de manière incontrôlable. 2. Vous minimisez les défauts de l’être aimé ou vous leur trouvez un charme particulier. 3. Vous oscillez entre l’espoir que votre passion soit réciproque et l’incertitude de pouvoir conserver la source de tant de plaisir. 4. L’effet « montagne russe » de vos émotions qui vous fait passer de la plus grande excitation, lorsque l’autre vous donne un gage d’amour, à la plus profonde dépression, si vous ressentez la moindre hésitation de sa part. D’où l’expression « tomber » en amour qui correspond à une véritable perte de contrôle rationnel. D’où aussi l’expression « coup de foudre » qui, tout comme la foudre, consume tout sur son passage et fait flèche de tout bois pour atteindre son objectif.
Les neurobiologistes ont démontré qu’à ce moment votre cerveau produit une hormone appelée phényléthylamine ou PEA, une amphétamine naturelle qui stimule l’activité de votre cerveau et provoque des sensations d’extase euphorique. Vous flottez, la vie est belle, tout le monde est beau, tout le monde il est gentil, vous n’avez jamais été aussi léger et heureux. Vous avez déniché votre « âme sœur ». Dans les faits, vous n’êtes pas en amour avec la personne réelle qui est en face de vous, mais bien avec les sensations que vous éprouvez devant l’image idéalisée que vous vous faites de la personne qui est en face de vous. Lorsque cette passion est réciproque, le couple se forme et commence la lune de miel. Vous passez de longues nuits à vous parler et à vous caresser, et vous retournez quand même au travail, frais et dispos, un grand sourire accroché à votre visage. C’est la phényléthylamine qui serait à l’origine des sentiments d’allégresse, d’exultation et d’euphorie en agissant à la fois sur notre cerveau reptilien, sur notre système limbique et sur notre cortex cérébral.
La phényléthylamine est une amphétamine naturelle qui stimule l’activité du cerveau. Rien d’étonnant si les amoureux peuvent rester toute la nuit éveillés, à se parler et se caresser. Rien d’étonnant s’ils sont parfois si distraits, si écervelés, si optimistes, si sociables et débordants de vie. Des amphétamines naturelles sont libérées dans les centres cérébraux qui commandent leurs émotions ; ils sont « défoncés » par une drogue naturelle. La passion résulte donc d’une saturation du cerveau, submergé par un déluge de phényléthylamine et d’autres stimulants naturels qui altèrent les sensations et, du même coup, la réalité.
Est-ce à dire que l’on puisse être accroché à la phényléthylamine comme on peut être accroché à la cocaïne, au crack ou à l’héroïne. OUI ! La passion est une véritable drogue, dont certains ne peuvent se passer. Et au même titre que les drogués augmentent leurs doses ou deviennent polytoxicomanes pour éprouver des sensations toujours plus intenses, le passionné, à l’exemple du Zubial d’Alexandre Jardin, provoque des situations amoureuses pour éprouver les émotions les plus intenses. Et lorsqu’il sent diminuer l’intensité de sa passion pour la personne actuelle, il met rapidement fin à cette relation pour partir à la recherche d’une nouvelle source, d’une nouvelle « âme sœur » qui, espère-il (ou elle), stimulera à nouveau la production de PEA et son cortège d’émotions et de sensations fortes.
Le passionné vit l’instant présent, le seul qui puisse, à son avis, réellement exister ; il le vit comme si chaque instant devait être le dernier. La vie doit être électrique, une fête continuelle. L’exaltation est sa marque de commerce, la jubilation, sa récompense. Mais, la réalité étant ce qu’elle est, les plaisirs passionnels ont leurs revers : les peines passionnelles. Quand la drogue fait défaut, le drogué fait face au manque ; quand la passion fait défaut, le passionné se retrouve face au vide. Quand on recherche l’intensité, il faut s’attendre à vivre des hauts et des bas qui, parfois, peuvent être extrêmes. Les psychologues toxicologues ont démontré depuis longtemps que les symptômes physiques, physiologiques et émotifs des personnes vivant une peine de… passion sont exactement les mêmes symptômes que ceux éprouvés lors des périodes de sevrage des toxicomanes aux prises avec les drogues dures.
L’intensité est la caractéristique première de la passion.
La passion, une affaire d’odorat
Napoléon écrivait à Joséphine : « Je serai à Paris demain soir. Surtout ne vous lavez pas. ». Le coup de foudre passionnel est déclenché par un de nos sens les plus primitif : l’odorat. Tous les individus émettent une odeur spécifique ; chacun d’entre nous possède une « empreinte olfactive » personnelle, aussi distincte de celle du voisin que notre voix, nos mains, notre intellect. Les mères et les nourrissons se reconnaissent à cette empreinte. Notre nez peut discerner plus de dix mille odeurs.
Beaucoup d’espèces animales sécrètent une substance appelée « phéromone » dont les effluves peuvent attirer les soupirants à des kilomètres à la ronde. Le corps humain produit aussi ce bouquet aphrodisiaque qui est parfois très puissant. Les hommes et les femmes ont des glandes apocrines sous leurs aisselles, autour des mamelons et dans la région de l’aine qui entrent en activité à la puberté. C’est cette sécrétion qui, mélangée aux bactéries de la peau, produit l’odeur âcre de la sueur. C’est aussi cette sécrétion qui nous subjugue inconsciemment et que nous vivons comme un coup de foudre (peut-être devrions-nous dire, à partir de maintenant, un coup d’odeur).
Les femmes ont l’odorat plus subtil que les hommes. Elles sont, entre autres, cent fois plus sensibles à l’exaltolide, un composé très approchant du musc sexuel masculin. Elles peuvent percevoir des effluves de sueur à un mètre. Elles sont aussi plus sensibles au musc masculin pendant l’ovulation. Nous avons aussi de plus en plus de preuves que les odeurs corporelles féminines ont un effet à longue distance sur les hommes.
L’odeur de l’homme et celle de la femme provoqueraient donc de puissantes réactions physiologiques et, conséquemment, psychologiques. Cinq millions de neurones olfactifs sont suspendus au toit de chaque cavité nasale et transmettent des messages au cerveau qui contrôle l’odorat. Grâce à ce câblage cérébral, les odeurs ont le pouvoir de déclencher des sensations érotiques intenses. L’amour ne serait peut-être que chimie.
Pourquoi lui ? Pourquoi elle ?
D’après le (tristement célèbre) sexologue John Money, chacun d’entre nous possèderait une carte cérébrale saturé de circuits hormonaux qui déterminerait ce qui peut nous stimuler sexuellement et nous rendre amoureux d’une personne plutôt qu’une autre. Cette « carte du tendre » se développerait entre 5 et 8 ans, en contact avec l’entourage. À l’adolescence, quand les pulsions sexuelles inondent le cerveau, cette carte amoureuse se cristallise et devient, d’après Money « si précise qu’elle fournit les détails de la physionomie de l’amant idéal, sa carrure, sa race et sa couleur, sans oublier son tempérament et ses manières… ». Nous possèderions une image mentale de notre partenaire idéal indiquant les traits qui nous paraissent séduisants et le type de conversation ou d’activités amoureuses qui nous excitent. Quand vous rencontrez ce partenaire idéal, vous en tombez follement amoureux et vous balayer tous les obstacles pour adorer, finalement, votre propre création, et non la personne réelle. D’où la célèbre formule de Chaucer selon laquelle « l’amour est aveugle ».
L’odeur dégagée par cet homme ou cette femme fait revivre de vifs et agréables souvenirs de notre enfance. Un bon parfum, au bon moment, produit l’étincelle fantastique d’où jaillit la flamme de la passion pour lui ou elle. Le Ça (l’inconscient) prend le dessus sur le Moi (la raison) et encore plus sur le Surmoi (les principes moraux). La passion vous mène donc par le bout du nez, à votre insu, et vous fait faire des choses avec des personnes qui, hier encore, vous étaient totalement inconnues et que vous réprouveriez en d’autres moments, ou pour les autres. (À noter que certains biologistes réfute la présence de phéromones chez l’humain.)
La passion a besoin de terres à défricher. C’est pourquoi on éprouve rarement de la passion pour des personnes que l’on connaît trop bien. Les obstacles excitent les sentiments déjà exacerbés. L’excitation grandit avec les difficultés de la conquête. Rien d’étonnant si certains tombent amoureux d’un individu déjà marié, d’un étranger ou d’un être dont les sépare une barrière apparemment infranchissable. C’est le fameux syndrome de Roméo et Juliette. Seul l’entourage se rend compte que ce couple est mal assorti.
Le coup de foudre, cette aptitude à « tomber en amour » dès la première rencontre, existe depuis le début de l’humanité et partout à travers le monde. La passion amoureuse est à l’origine de bien des suicides et de meurtres. Certains peuples n’ont pas de mot pour nommer le coup de foudre, ils l’appellent tout simplement « folie ». Dans notre propre société, il y a à peine un siècle, toute passion était considérée suspecte. L’espèce humaine n’a pas non plus le monopole de cette passion amoureuse : elle est aussi observée chez les animaux et parfois même entre des espèces animales différentes.
Le coup de foudre n’est peut-être rien d’autre qu’une pulsion innée, qui encourage de nombreuses créatures à ne pas traîner pour s’accoupler. On peut toutefois penser que ce qui n’était à l’origine qu’une attraction physique ait pu se transformer, à travers les âges, en brutale passion amoureuse.
La deuxième caractéristique de la passion est donc l’inconscience
Les dimensions d’un amour véritable
Au contraire de la passion, l’amour est un sentiment beaucoup plus doux, englobant la tendresse et l’attirance physique dans la poursuite d’un rêve commun. Alors que la passion crée la dépendance, l’amour crée l’attachement. L’amour, c’est ce qui reste une fois passé l’intensité passionnelle du début de certaines relations. Il est illusoire de croire que la passion puisse durer toujours. Ni notre cerveau, ni notre corps ne peuvent carburer à plein régime très longtemps. À un moment donné, nous nous habituons aux effets de la PEA, lesquels n’ont plus le même impact sur nos neurones. C’est ce que j’appelle la douloureuse morale du plaisir, i.e. que même les plaisirs les plus intenses deviennent fades avec la répétition et le temps.
Vient un jour où la production de PEA fait place à la production d’endorphines. Les endorphines, ou endomorphines, ont des propriétés antalgiques, associées au calme et au bien-être, à l’absence de douleur. Pour que l’amour véritable puisse exister, et durer, trois éléments sont nécessaires : sexualité, admiration et rêves. Ces éléments doivent être canalisés vers la même personne et être réciproques, à moins de vouloir être malheureux.
L’amour est basé sur une attraction physique et sexuelle réciproque : ne dit-on pas « faire l’amour » pour désigner les relations sexuelles. Qu’y a-t-il de plus merveilleux que de faire l’amour avec l’être aimé ? Aimer quelqu’un, c’est vouloir se coller, se toucher, se caresser, s’interpénétrer, se fusionner.
L’amoureux ne peut aimer que s’il admire la personne source d’amour. L’admiration est un sentiment de joie et d’épanouissement devant ce que l’on juge beau ou grand. Il n’y a de l’amour que dans le respect. Cette admiration doit toutefois se baser sur la réalité de la personne que l’on aime et non pas sur l’image idéalisée de cette personne. L’illusion n’est pas source d’admiration, elle est plutôt source de déception.
Deux personnes qui s’aiment partagent les mêmes projets, les mêmes rêves : mariage, maison, enfants, succès professionnels, implication sociale, vacances, retraite… S’aimer, c’est rêver ensemble de choses possibles à deux.
On voit bien ici que la stabilité et la conscience de l’autre sont les caractéristiques premières d’un véritable engagement amoureux. L’attachement est la conséquence de l’amour. L’amour semble donc s’opposer à la passion, laquelle nécessite une nouveauté sans cesse renouvelée. L’intensité passionnelle peut faire souffrir, mais, disent les passionnés, qu’est-ce l’amour sans passion ? Vaut-i la peine d’être vécu ? Doit-on se marier seulement par raison ?
Le désir et la solitude
Par définition, le désir se manifeste lorsqu’il y a un manque. C’est pourquoi les débuts d’histoire d’amour sont généralement passionnés, chacun des partenaires n’étant pas assuré que l’autre sera toujours là. Mais au moment où, dans le couple, s’installent une certaine sécurité et une certaine routine, la passion, elle, ne peut que diminuer. Par contre, la passion à la longue tue le désir, au même titre qu’un bon repas fait disparaître la faim. Comment trouver l’équilibre entre ces deux extrêmes ?
Le passionné est étreint par un désir fusionnel lui permettant de faire disparaître le manque à la base du désir de l’autre. Mais la fusion fait disparaître l’autre car il devient soi et cesse d’être objet de désir. Ne pouvant désiré ce qu’il possède, le passionné se retrouve donc face à lui-même et aussi vide qu’il était avant le coup de foudre qui l’a fait vibrer en apercevant l’autre. Il fuit donc cet autre devenu lui, à la recherche d’un autre qui pourra réveiller son désir de fusion passionnelle. Quel paradoxe ! Quelle illusion que de croire qu’un autre puisse nous remplir totalement ; il ne peut que nous compléter et, encore là, que de façon imparfaite. C’est cette imperfection que le passionné ne peut souffrir.
Seules la distance et une certaine insécurité peuvent faire renaître et entretenir le désir et, partant, l’amour et une certaine dose de passion. Le défi du couple consiste à créer une juste distance entre le désir de fusion et la stabilité.
L’intensité passionnelle est, lentement mais inévitablement, remplacée par une émotion plus discrète : l’attachement. Se développe alors un sentiment de sécurité, de stabilité et de tranquillité dont font preuve les couples heureux. Les deux amants peuvent maintenant parler, manger et dormir en paix. Certaines personnes ne peuvent faire face à cette diminution de la passion : elles rompent et partent à la conquête d’une nouvelle passion, passant de partenaire en partenaire à la recherche d’une illusion, soit la permanence de l’intensité passionnelle.
La phényléthylamine, une drogue ?
La phényléthylamine stimule des sentiments d’allégresse, d’exultation et d’euphorie en agissant à la fois 1. sur notre cerveau reptilien, responsable dans les comportements de séduction des conduites instinctives de parade, de toilettage et de flirt, 2. sur notre système limbique lequel gouverne les émotions fondamentales et leur intensité, et 3. sur notre cortex cérébral, en développant l’obsession de l’autre dans la partie du cerveau qui intègre nos émotions et nos pensées.
La chimie de l’amour
Trois types d’hormones interviennent dans le processus amoureux.
Les phéromones ou phérormones. Ces effluves sont produites par les glandes apocrines situées sous les aisselles, autour des mamelons et dans les aines. Même émises à dose infime, elles donnent une empreinte olfactive personnelle unique et possèdent le don d’attirer certaines personnes et d’en éloigner d’autres. L’amour n’est peut-être au fond qu’une question d’odorat. Ne dit-on pas des gens qui nous sont antipathiques : « Celui-là, je ne peux pas le sentir ! »
La phényléthylamine. C’est une substance chimique cérébrale qui déclenche des sensations d’allégresse, d’exultation et d’euphorie. Le coup de foudre est l’état d’un cerveau submergé d’emphétamines naturelles : nous sommes en amour avec les sensations que nous éprouvons devant l’image que nous nous faisons de l’être aimé. Les drogués de l’amour vont de coup de foudre en coup de foudre à la recherche de l’excitation déclenchant la production de phényléthylamine et la passion.
Les endorphines. Ne pouvant carburer très longtemps à la phényléthylamine, le cerveau la remplace après un temps variable par une espèce d’opiacé qui fait diminuer l’amour passion et se développer l’amour attachement : les amoureux peuvent maintenant parler, manger et dormir en paix. Sécurité, stabilité et tranquillité sont maintenant au rendez-vous.
John Money
Originaire de la Nouvelle Zélande, le Dr. John Money est devenu l’un des plus célébres sexologues américains pour ses études sur l’identité sexuelle au Psychiatric Institute of the University of Pittsburgh et au Harvard’s Psychological Clinic. Il est le fondateur du Office of Psychohormonal Research, and the Gender Identity Clinic au Johns Hopkins University. Il est l’auteur de plus de 400 articles scientifiques et de nombreux livres. Il est de la lignée des Freud, Kinsey , Master et Johnson. Pour tout savoir sur John Money, consultez le site internet suivant : http://www.nzedge.com/heroes/money.html. Il a toutefois terni sa réputation pour l’opération chirurgicale de réattribution sexuelle sur David Reimer.
Pour en savoir davantage
- Dallaire, Yvon, Qui sont ces couples heureux ?, Québec, Option Santé, 2006
- Fisher, Helen, Histoire naturelle de l’amour, Ed. Robert Laffont, Paris, 1994.
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Je vous souhaite une excellente journée et beaucoup de bonheur seul et à deux.