Chronique #57 : Quand les amants deviennent parents !

Introduction
L’un des principaux objectifs du couple est de fonder une famille. Devenir parent implique nécessairement plus de responsabilités et le couple doit composer avec un enfant (ou deux ou trois…) de plus dans sa vie. Les actions à prendre face à ce « devoir parental » et face au ” devoir conjugal ” sont quelques fois difficiles à concilier. Pourquoi le couple va-t-il jusqu’à oublier la nature même qui a créé son union? Comment entretenir la flamme amoureuse ou la ranimer si elle s’est éteinte avec les années de vie conjugale? Comment lutter contre la routine engendrée par les responsabilités de parents ?

L’enfant, fruit de l’amour ou source de mésententes.
L’enfant constitue à la fois le fruit de l’amour des amants, et l’une des deux principales sources de conflits, l’autre étant l’argent. D’où la nécessité pour les deux parents de s’entendre sur des principes éducatifs communs, tout en permettant à l’un et l’autre d’avoir une relation privilégiée avec son ou ses enfants. Auparavant, et encore pour la psychanalyse, la mère représente l’amour et le père, la loi. Aujourd’hui, avec une meilleure égalité des sexes et, à posteriori, des parents, ces fonctions d’amour et de discipline peuvent être mieux partagées.

Pour former une famille unie, il est nécessaire que les deux partenaires partagent des principes éducatifs communs (alimentation, école, horaire, habillement, jeux, etc.). Toutefois, la réalité est que la permissivité et la discipline ne sont généralement pas réparties de façon équitable. L’un des parents est généralement plus permissif, l’autre plus disciplinaire. On constate même que plus l’un des parents est permissif, plus l’autre se voudra disciplinaire pour compenser ce qu’il qualifie de laxisme de son partenaire. Plus la femme sera maman (amour), plus l’homme sera père (loi) et plus l’homme sera papa, plus la femme sera mère. Les partenaires des couples malheureux se disputent à savoir ce qui, de la discipline ou de la permissivité, est le plus bénéfique pour l’enfant. Les partenaires des couples heureux savent que l’enfant a besoin à la fois d’encadrement et de liberté.

La reproduction constitue le premier objectif de la sexualité, de l’amour et de la formation des couples. Il en est ainsi de toutes les espèces animales, sauf que la majorité d’entre elles ne forme pas de couple à vie, car la maturation des petits se fait de façon accélérée. À l’exception de 7 à 8% des espèces qui forment des couples plus ou moins stables (seulement 2 à 3 % sont monogames à vie), la femelle s’occupe seule de l’élevage des petits pendant que le mâle « erre en solitaire jusqu’à la brève période où l’on a besoin de lui à des fins reproductrices », du moins ceux qui n’ont pas été sacrifiés une fois leur rôle de reproducteur effectué[1].

Chez le couple humain, l’enfant constitue aussi le fruit de l’union sexuelle et amoureuse d’un homme et d’une femme, mais il est aussi à la base d’une véritable révolution dans la vie du couple, car d’un couple, les amants doivent maintenant former une famille : d’un duo doit émerger un trio.

On sait, depuis Hans Selye, que les moments heureux peuvent aussi être des sources de stress importantes. Le mariage, confirmation et célébration de l’amour, en constitue un bel exemple. L’annonce d’une grossesse également. Comment la grossesse, l’accouchement et l’installation du nouveau venu seront vécus, dépend de la planification et de l’acceptation ou non de la grossesse par les deux partenaires. Déjà, l’inconfort des malaises du 2e mois et la transformation physique, émotive et psychologique de la femme pèsent lourdement sur l’intimité du couple. Sans parler du fait que l’arrivée d’un enfant semble aussi avoir des répercussions biochimiques (malheureusement encore mal étudiées) sur le corps et le cerveau du nouveau papa[2].

La parentalité
La paternité pousse l’homme à passer définitivement de l’adolescence à la maturité psychologique avec toutes les responsabilités que cela implique. Plusieurs n’y parviennent pas. Devenir mère, devenir père n’est pas une mince tâche, surtout que la majorité des femmes et des hommes sont laissés à eux-mêmes devant cette expérience extraordinaire de vie, mais combien bouleversante. Il y a bien sûr des cours prénataux et postnataux, mais la plupart sont axés sur la préparation physique et mentale à l’accouchement et les soins à donner au bébé ; très peu se préoccupent de la préparation aux transformations psychologiques et relationnelles que l’arrivée d’un enfant provoquera chez le couple d’amants qui devient maintenant couple de parents. De nombreux amants se sont perdus de vue à l’arrivée du fruit de leur amour, même si longuement et ardemment désiré.

Les théories ne manquent pas pour expliquer les causes du véritable tremblement de terre conjugal provoqué par l’arrivée d’un enfant :

  • Arrivée surprise, non planifiée, désirée par l’un, subie par l’autre ou non ;
  • Peurs entourant la grossesse et l’accouchement ;
  • Séquelles physiques et esthétiques ;
  • Répercussions, temporaires ou définitives, sur la sexualité ;
  • Remise en question des projets professionnels des conjoints ;
  • Augmentation des tâches et responsabilités financières ;
  • Questionnement sur les principes éducatifs.

Cette crise se structure, à mon avis, autour de quatre thèmes principaux.

1. Les rôles traditionnels de père et de mère.
Seule une mère peut comprendre ce que vit la jeune fille qui devient mère : sentir germer une vie en son sein, nourrir une autre vie à même son corps, sentir grouiller cette vie au cœur de soi, se transformer physiquement et psychologiquement pour recevoir cette vie et, finalement, mettre au monde un autre être humain est une expérience qui ne peut donner à la femme qu’un sentiment de puissance. Ce sentiment épanouit la femme enceinte qui accepte ainsi de remplir sa mission biologique. La difficulté pour la jeune fille devenue mère sera toutefois de partager avec son partenaire ce qui a été à elle pendant neuf mois, d’accepter que « son » enfant devienne « notre » enfant.

Le jeune homme qui devient père s’investit de nouvelles responsabilités. Sa mission biologique ayant toujours été d’assurer la survie matérielle et physique, la sienne et celle de sa tribu, sa réaction première est souvent, comme j’ai pu le constater chez nombre de couples en thérapie, de travailler plus fort pour nourrir cette nouvelle bouche qui s’en vient. Loin de former la « sainte trinité » tant espérée par sa partenaire, il devient le protecteur, guerrier, pourvoyeur que les pères de ses pères ont toujours été, malgré le fait que les femmes soient de nos jours de plus en plus autonomes financièrement. La difficulté pour le jeune homme devenu père sera de comprendre que sa partenaire a plus besoin de support émotif que de pain.

Aucun homme n’a accès au vécu de la femme enceinte. Il ne peut qu’assister et accompagner sa partenaire dans cette expérience. Souvent, il se sent exclu (ou est exclu) de cette expérience, surtout si sa propre mère, sa belle-mère et toutes les copines de sa partenaire se réunissent entre elles pour discuter « bébé ». Il se doit pourtant de prendre sa place à côté de sa femme et de son enfant, le rôle du père étant de transformer la symbiose dyadique mère–enfant en triade père–mère–enfant s’il veut faire de son couple une véritable famille.

Chez les couples malheureux, la mère, se croyant investie de toutes les connaissances nécessaires grâce à son « instinct » maternel, s’arroge souvent tout le pouvoir sur l’enfant et empêche le père d’intervenir à sa façon dans l’éducation des enfants. Chez les couples malheureux, de nombreux hommes démissionnent, laissent la maternité et l’enfant aux femmes et compensent en s’investissant davantage dans leur travail, renonçant ainsi à toute confrontation avec leur partenaire. Les deux deviennent « infidèles[3] », l’enfant devenant le centre de la vie de la femme et le travail, le centre de vie de l’homme. Ce comportement masculin crée parfois un sentiment d’abandon chez la femme qui comprend mal cette réaction atavique de l’homme qui, à son tour, comprend mal la réaction atavique de surprotection de sa partenaire pour son enfant. D’où la naissance d’un cercle vicieux. Les couples heureux, quant à eux, forment, non sans difficulté, une vraie famille triangulaire.

2. La perte de l’amante
Le fait pour l’homme, dont la femme devient mère, de perdre l’exclusivité de son amante est l’un des traumas les moins analysés en psychologie masculine. Pourtant, cette expérience influence fortement le jeune homme et peut expliquer nombre de réactions masculines à l’arrivée d’un enfant. En général, l’homme fonctionne par objectifs ou par défis. Une fois atteint un objectif, il passe à un autre. C’est souvent avec cette optique que le jeune homme choisit la femme de sa vie : une fois trouvée, il espère qu’elle ne changera jamais et qu’elle le laissera en paix pour réaliser ses autres objectifs. Plus il sera fusionnel, plus il s’attachera à ce fantasme de la princesse toujours charmante et réceptive à la satisfaction de ses besoins. Et une fois acquise la femme de sa vie, il diminuera ses conduites de séduction et d’attention pour se consacrer à l’atteinte d’objectifs professionnels.

Il est évident qu’un des objectifs (avoués ou non) de la majorité des femmes est de trouver un mâle pour la féconder. Pour ce faire, elle concentrera toute son attention à le séduire sachant très bien comment attirer son attention et se faire aimer de lui. Tout au long de la lune de miel, il se sent admiré, adulé et important aux yeux de sa compagne. Il a trouvé le bonheur pour la vie… du moins, c’est ce qu’il croit. Jusqu’au jour où son amante, avec qui il a découvert des plaisirs extrêmes, lui annonce : « Chéri, je suis enceinte. Nous allons avoir un bébé ». Il sera certainement très heureux si ce bébé fait partie de ses objectifs. Sinon, c’est la catastrophe. Mais, même dans le cas où bébé est fortement désiré, les deux partenaires ne savent pas exactement ce qui va leur arriver. Un deuxième test de réalité leur pend au bout du nez, le premier test étant la désidéalisation du prince et de la princesse.

Presque du jour au lendemain, l’amant devra céder sa place prioritaire et accepter de partager l’amour exclusif de sa partenaire qui découvre un autre sens à sa vie et qui canalisera, en toute légitimité, ses énergies à bien assumer son nouveau rôle de mère. L’homme perd l’exclusivité de son amante pour le reste de sa vie. Non seulement ce petit être est très exigeant et gruge énormément d’énergie et de temps à son amante, mais trop souvent il marque et transforme à vie le corps si désirable de sa partenaire. Sans parler des conséquences de la maternité sur la libido de la femme. C’est pourquoi l’homme voit parfois son bébé comme un « intrus » et en devient jaloux. C’est pourquoi le taux d’infidélité masculine augmente dans l’année suivant l’arrivée d’un enfant, l’homme retrouvant dans les bras d’une autre femme l’attention exclusive qu’il vient de perdre.

3. L’enfant, un dictateur
Dès l’arrivée d’un enfant, les parents se rendent rapidement compte que ce petit « bout d’chou » n’est en réalité qu’un dictateur, un petit roi à qui l’on doit obéir au moindre cri. Oui, il possède le nez fin de son père, les yeux ronds de sa mère, les oreilles de son grand-père, le sourire de sa grand-mère… Oui, il est si beau quand il dort et jamais, au grand jamais, on ne le retournerait d’où il vient… Mais, un nouveau-né, c’est aussi un être très dépendant qui nécessitera plusieurs années avant de pouvoir assumer la responsabilité de ses besoins. Non seulement ce nouveau-né n’est pas arrivé avec un mode d’emploi, mais il n’a ni horaire, ni compassion pour les besoins d’autrui ou l’état de fatigue de ses géniteurs. Et non, les deux parents ne s’attendaient pas à toutes ces corvées et ce chambardement dans leur vie jusqu’alors plutôt tranquille et remplie de loisirs et d’activités festives organisées à deux, pour deux.

Pas surprenant que les parents éprouvent parfois une profonde ambivalence envers le fruit de leur amour qui devient souvent une source inépuisable de disputes quant à savoir à qui le tour de s’en occuper, qui sait mieux que l’autre comment s’en occuper, à qui le tour de se lever à 4h du matin, qui va l’habiller et comment, qui va le faire manger et comment, qui le gâte trop, qui est trop permissif, qui le conduira à la crèche ou à la maternelle, à qui le tour de le garder, c’est de la faute à qui s’il a tel ou tel défaut…. Passe encore si l’arrivée de l’enfant se terminait rapidement ; mais non, un enfant, c’est un contrat à vie, du moins pour une bonne vingtaine d’années.

4. Un plus Un plus Un = Neuf.
Le couple moderne est composé de trois entités : toi, moi et nous, soit un plus un = trois, et il n’est pas toujours facile d’harmoniser ces trois entités. Lorsqu’un enfant arrive, nous nous retrouvons avec neuf entités : nous – homme – père – papa – femme – mère – maman – enfant – famille tel qu’illustré dans la figure que vous retrouvez ici.

Si former un Nous exige d’investir une partie de Moi et de Toi, former une Famille exige d’investir une nouvelle partie de Moi et de Toi et une partie importance de Nous lorsque Lui (ou Elle) arrive. Le couple ne peut plus penser seulement pour deux ; il doit maintenant toujours tenir compte d’une troisième personne. Si, auparavant, c’était le mariage qui créait un lien à vie entre deux personnes, aujourd’hui, à une époque où le divorce est de plus en plus fréquent, c’est la naissance d’un enfant qui crée un lien perpétuel entre deux personnes[4]. Le Nous conjugal doit sortir de son égocentrisme pour se tourner vers l’enfant afin de remplir sa mission d’éducation et de perpétuation de l’espèce.

S’entendre sur les mêmes principes éducatifs relève presque d’une mission impossible. Il n’est pas non plus facile de laisser chaque parent intervenir à sa façon dans sa relation avec l’enfant. Heureusement, la parentalité s’exerce sous forme de vases communicants : le père sera d’autant plus autoritaire que la femme sera maman poule et cela donnera lieu à de nombreuses discussions sur la manière d’éduquer l’enfant. Les couples heureux évitent l’affrontement au sujet des enfants car ils savent que l’enfant a autant besoin d’encadrement que de permissivité. Ils se mettent d’accord sur des principes éducatifs minimaux et chaque parent respecte la façon d’être de l’autre avec son ou ses enfants. Ils vont appuyer leur partenaire même s’ils ne sont pas d’accord avec leur intervention, quitte à en parler hors des enfants.

Nous avons tous l’habitude de considérer l’arrivée d’un enfant comme un événement heureux, et c’en est effectivement un, mais nous savons tous aussi le prix personnel et relationnel à payer pour faire de la place au fruit de notre amour. L’arrivée d’un enfant (et de chaque enfant par la suite) provoque une crise inévitable à laquelle peu de couples sont réellement préparés. Les membres d’un couple heureux savent que l’enfant a besoin d’une mère et d’un père. Un bon parent est celui qui reconnait l’importance de l’autre parent, même s’il y a désaccord. Les membres des couples malheureux pensent que chacun peut indifféremment remplir les rôles de l’un et l’autre ou que l’un sait mieux que l’autre ce dont l’enfant à besoin. Tout comme la vie de couple prépare à la vie de couple, c’est en étant parent que l’on devient parent.

Bonne chance !

[1] Nous connaissons tous le sort du mâle de la mante religieuse si celui-ci a le malheur de passer dans le champ de vision de la femelle après l’acte, mais saviez-vous que de nombreux autres mâles, particulièrement chez les insectes, sont sacrifiés une fois leur mission biologique accomplie : le scorpion, la guêpe, l’abeille, la fourmi, la mouche, le guillon, l’araignée, la luciole et divers autres moustiques.

[2] On parle de plus en plus du syndrome de la couvade chez le futur papa : https://naitreetgrandir.com/fr/grossesse/trimestre1/fiche.aspx?doc=grossesse-pere-symptomes-syndrome-couvade.

[3] Pour moi, l’infidélité n’est pas que sexuelle ; elle peut aussi être affective et relationnelle.

[4] De plus en plus de couples cohabitant décident de se marier au moment de la grossesse.

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